mercredi 22 août 2007

Autour du rire

Sur le travail de Donigan Cumming

En étudiant le travail de Donigan Cumming (photographe et vidéaste canadien) nous constatons qu'il opère de nombreux déplacements entre la réalité et la fiction qui engendrent des effets comiques. Je vais tenter dans ce texte un début de réflexion autour de cette observation.
Le fait que Cumming fasse re-jouer, dans ses vidéos, à ses acteurs leur propre rôle de leur vie quotidienne me semble particulièrement intéressant. En effet, en ayant recours à ce processus Cumming glisse, à mon sens, de manière subtile entre la réalité et la fiction et vice-versa. Cette stratégie de renversement me paraît être un excellent moyen pour aller plus loin que le “faire semblant” et ouvre de nombreux espaces de réflexions sur le réel. Dès lors, la fiction, pour Cumming, est un possible et non une fin. Par ailleurs, la réalisation de tels allers et retours demande, me semble-t-il , une grande rigueur pour ne pas se perdre et tomber dans le pathétique ou la farce. Durant mon entretien avec lui, nous avons d'ailleurs discuté sur l'importance de développer un travail rigoureux et de manière responsable sans pour se prendre au sérieux. Voilà peut-être pourquoi nous pouvons rire – pourquoi j'ai ris – en regardant les courts-métrages de Cumming même s'il montre la souffrance quotidienne des protagonistes de ses vidéos. Pourtant, j'ai une difficulté immense à regarder des images représentant la souffrance et plus particulièrement la souffrance physique. C'est probablement parce qu'elle est réservée au vivant. La souffrance ne serait-elle donc pas une affaire si sérieuse ? C'est vrai qu'il est fréquent que le diminué s'amuse plus volontiers de ses maux que son entourage. Par conséquent, la souffrance serait-elle l'affaire de l'autre, du non souffrant ? Deleuze disait, avec d'autres mots, que c'est le malade qui est le bon vivant parce que lui seul connaît la fragilité de la vie. On peut donc se demander quelle place tient le spectateur devant les films de Cumming. En nous montrant la décrépitude du vivant, il nous propose peut-être, le temps de la projection, la place confortable du mort. Au fond, les fictions de Cumming nous ramènent à la banalité du cycle de la vie et la manière radicale avec laquelle il traite ce sujet nous autorise à penser que la mort n'est, vraisemblablement, pas si tragique en comparaison à la caducité en devenir de l'être humain. Brel (1977) chantait d'ailleurs “mourir cela n'est rien, mourir la belle affaire, mais vieillir, ô vieillir !”
J'aimerais revenir ici au rire et plus particulièrement au rire paradoxal provoqué par les vidéos de Cumming. Afin de faire avancer ma réflexion, je tiens à retranscrire, dans les lignes qui vont suivre, une longue citation de Bergson (1940), qui, selon moi, pourrait m'aider à éclaircir et à enrichir mon propos. :

Ce que la vie et la société exigent de chacun de nous, c'est une attention constamment en éveil, qui discerne les contours de la situation présente, c'est aussi une certaine élasticité du corps et de l'esprit, qui nous mette à même de nous y adapter. Tension et élasticité, voilà deux forces complémentaires l'une de l'autre que la vie met en jeu. Font-elles gravement défauts au corps ? ce sont les accidents de tout genre, les infirmités, la maladie. A l'esprit ? ce sont tous les degrés de la pauvreté psychologique, toutes les variétés de la folie. Au caractère enfin ? vous avez les inadaptations profondes à la vie sociale, sources de misère, parfois occasions de crime. Une fois écartées ces infériorités qui intéressent le sérieux de l'existence (et elles tendent à s'éliminer elles-mêmes dans ce qu'on a appelé la lutte de la vie), la personne peut vivre, et vivre en commun avec d'autres personnes. Mais la société demande autre chose encore. Il ne lui suffit pas de vivre ; elle tient à vivre bien. Ce qu'elle a maintenant à redouter, c'est que chacun de nous, satisfait de donner son attention à ce qui concerne l'essentiel de la vie, se laisse aller pour tout le reste à l'automatisme facile des habitudes contractées. Ce qu'elle doit craindre aussi, c'est que les membres dont elle se compose, au lieu de viser à un équilibre de plus en plus délicat de volontés qui s'inséreront de plus en plus exactement les unes dans les autres, se contentent de respecter les conditions fondamentales de cet équilibre : un accord tout fait entre les personnes ne lui suffit pas, elle voudrait un effort constant d'adaptation réciproque. Toute raideur de caractère, de l'esprit et même du corps, sera donc suspecte à la société, parce qu'elle est le signe possible d'une activité qui s'endort et aussi une activité qui s'isole, qui tend à s'écarter du centre commun autour duquel la société gravite, d'une excentricité enfin. Et pourtant la société ne peut intervenir ici par une répression matérielle, puisqu'elle n'est pas atteinte matériellement. Elle est en présence de quelque chose qui l'inquiète, mais à titre de symptôme seulement, – à peine une menace, tout au plus un geste. C'est donc par un simple geste qu'elle y répondra. Le rire doit être quelque chose de ce genre, une espèce de geste social. Par crainte qu'il inspire, il réprime les excentricités, tient constamment en éveil et en contact réciproque certaines activités d'ordre accessoire qui risqueraient de s'isoler et de s'endormir, assouplit enfin tout ce qui peut rester de raideur mécanique à la surface du corps social. Le rire ne relève donc pas de l'esthétique pure, puisqu'il poursuit (inconsciemment, et même immoralement dans beaucoup de cas particuliers) un but utile de perfectionnement général. Il a quelque chose d'esthétique cependant puisque la comique naît au moment précis où la société et la personne, délivrés du souci de leur conservation, commencent à se traiter elles-mêmes comme des oeuvres d'art. En un mot, si l'on trace un cercle autour des actions et dispositions qui compromettent la vie individuelle ou sociale et qui se châtient elles-mêmes par leurs conséquences naturelles, il reste en dehors de ce terrain d'émotion et de lutte, dans une zone neutre où l'homme se donne simplement en spectacle à l'homme, une certaine raideur du corps, de l'esprit et du caractère, que la société voudrait encore éliminer pour obtenir de ses membres la plus grande élasticité et la plus haute sociabilité possibles. Cette raideur est le comique, et le rire en est le châtiment. (pp. 14 à 16)



Toutefois, Bergson ne se limite pas, dans la suite de son ouvrage, à faire du rire une stratégie du “juste milieu” pour garder un certain équilibre social et individuel, et va plus loin dans ses investigations sur cette problématique. D'autre part, si de prime abord, le rire provoqué par la vision des acteurs de Cumming pourrait être catalogué comme émanant d'un désir de protection individuelle ou sociale par la personne qui le produit, je pense qu'il ne se résume pas à cela. En effet, notre rire ne suffira pas à remettre sur le droit chemin les désespérés qui nous font face, ils ne nous entendent pas, nous sommes livrés devant eux dans une totale impuissance, une impossibilité d'agir. Les images proposées nous renvoient sans détour à notre fin. Nous sommes des possibles certes, mais égrotants, et nous nous dirigeons inexorablement vers une certaine raideur, un certain manque de mouvement physique et/ou psychique. Nous pouvons donc dire, qu'à plus ou moins long terme, nous sommes tous risibles et notre déchéance ne fait qu'engendrer du comique. Dès lors, l'aboutissement de cette décrépitude qu'est la mort ne serait-elle pas l'extrême du comique ? Si tant est que la mort n'est pas risible dans les usages, elle comporte néanmoins de nombreux éléments qui la rendent comique en droit.

Références bibliographiques :

Bergson, H. (2004). Le rire. Paris : Quadrige/PUF. (Original publié 1940)
Brel, J. (1977). Vieillir [LP]. Les Marquises, 3, Barclay, 96.010
Deleuze, G. (1996), L'Abécédaire de Gilles Deleuze [VHS]. Vidéo Editions Montparnasse

A reverie interrupted by the police




Rodney Graham, A Reverie Interrupted by the Police, 2003
Photogramme
Planche I


Lors de l’un de mes déplacements à Zürich en 2003, en vue d’aller y visiter une partie des institutions culturelles « hype » se situant le long de la Limmatstrasse, j’ai trouvé, sur le desk d’une des galeries1, un carton d’invitation pour la prochaine exposition de l’artiste canadien Rodney Graham qui allait y projeter son dernier film : A reverie interrupted by the police. En prenant connaissance des dates2 de ce futur événement, j’en ai conclu que mon emploi du temps à venir ne me permettrait pas de rééditer un trajet pour Zürich afin de visionner cette bande. Appréciant particulièrement la photo qui figurait sur ledit carton (cf. Planche I), et ceci ajouté à ma manie de récolter constamment des flyers3, j’ai emporté cet arrêt sur image représentant un bagnard menotté assis devant un piano. Depuis, elle est accrochée au mur, au-dessus de ma place de travail. J’ai souvent pensé, en la regardant, que si elle résistait aussi bien à la lassitude, voire à l’écoeurement que je pourrai rencontrer à son égard au fil du temps, il faudrait qu’un jour ou l’autre, je m’y intéresse d’un peu plus près.

Je n’ai jamais eu l’occasion de voir ce film de Graham, ni en 2003, ni après. Mon propos sera donc basé sur cet instantané, ce détail, et sur des textes que j’ai pu lire au sujet de cette pièce et sur l’œuvre de l’artiste.

Cette image est un silence, on se demande en l’observant ce que peut bien jouer un prisonnier entravé par des bracelets chromés. Graham dit sur ce point que c’est “ […] un morceau de piano préparé dans le style de John Cage”4. Selon Duplaix (2004) :

Ce serait pourtant bien surtout à 4’33’’, le morceau entièrement silencieux du compositeur, qui renvoie la scène, avec les gestes d’ouverture et de fermeture répétés du couvercle du piano par le prisonnier, comme une allusion directe à l’interprétation de la pièce de Cage par David Tudor, marquant les trois mouvements de l’œuvre par ces mêmes gestes. (p.99)

D’autre part, je pense qu’il est possible d’avancer que l’agencement du temps est une préoccupation commune à Cage et à Graham. C’est-à-dire qu’ils se sont attardés tous les deux à structurer une durée, à un moment donné dans leur travail. Cage (1970) répond à Charles lors d’un entretien :


Chaque fois qu’il y a, comme dans les œuvres auxquelles vous pensez [pièces japonaises pour le koto (instrument de musique d'origine sino-coréenne dont le son se rapproche de la harpe) qui sont essentiellement constituée par des séquences silence-son-silence], une structuration du temps, on peut diviser ce temps et y introduire, au titre de matériau, le silence. J’ai essayé de faire comme Satie ou comme Webern : clarifier la structure soit avec les sons, soit avec les silences. (p.34)

Or, on connaît l’intérêt de Graham pour la répétition ainsi que sa capacité à la mettre en forme et de lui donner un sens à l’aide de systèmes. Nous pouvons évoquer, par exemple, Parsifal (1882-38 969 364 735 apr. J.-C.) où il ajoute à l’œuvre de Wagner de la musique en appliquant un système de boucles5. En outre, on retrouve cette méthode de composition en loops dans un bon nombre de ses films comme Vexation6 Island (1997), How I Became a Ramblin’Man (1999) et City Self/Country (2000)(qui forment une trilogie) ou encore, justement, dans A reverie interrupted by the police (2003). Mais revenons à la notion du silence, si Cage l’a rapidement interrogée et intégrée dans son travail, Graham, à ma connaissance, ne l’a jamais considérée conceptuellement jusqu’à l’oeuvre sur laquelle nous discutons ou, pour ne pas être trop affirmatif, soumettons qu’avec cette notion, dans ce film, il réalise une brèche dans le mouvement perpétuel dû à la mise en boucle de cette bande.
Afin d'y voir un peu plus clair sur les processus – ambigus – de la répétition et sachant que Graham a fait une lecture très attentive des théories de Freud notamment sur les mécanismes des pulsions dans Au-delà du principe de plaisir, je sens le besoin de m’y arrêter quelque peu. Rappelons donc que Freud (1920) a dégagé trois formes de pulsions que sont : les pulsions de conservations (ou pulsions du Moi) et les pulsions sexuelles (ou libido ou Eros) regroupées sous l’appellation pulsions de vie, pour marquer leur opposition aux pulsions de mort (Morel, 1995).

[Ces dernières ont] pour tâche de ramener le vivant organique à l’état inanimé, tandis que l’Eros poursuit le but de compliquer la vie en rassemblant, de façon toujours plus extensive, la substance vivante éclatée en particules, et naturellement, en plus, de la maintenir. Les deux pulsions se comportent là, au sens le plus strict, de façon conservatrice, puisqu’elle tendent à la restauration d’un état qui a été perturbé par l’apparition de la vie. L’apparition de la vie serait donc la cause de la continuation de la vie et en même temps, aussi, de la tendance à la mort, et la vie elle-même serait un combat et un compromis entre ces deux tendances. (Freud, 1923, p.254).

Nous pouvons poser grâce à l’apport de cet ouvrage, qu’aussi bien les pulsions de vie que celles de mort répètent des actions régressives visant à rétablir un état antérieur. Nous irons jusqu’à émettre que l’endurance et la pugnacité des deux types de pulsions dans l’accomplissement de leur objectif défini notre durée d’existence. Il va sans dire qu’en n’étant pas un spécialiste en métapsychologie et ne voulant pas me payer de mots, je fais appel aux recherches de Freud uniquement dans un souci d’enrichir ma lecture du travail de Graham à travers ses propres références et nullement pour vérifier les hypothèses du psychanalyste. Cependant, ce dernier ayant corroboré généreusement ses réflexions par l’intermédiaire de la biologie, nous saisissons l’occasion pour mentionner que l’évolution des recherches récentes dans ce domaine et plus spécialement celles d’Ameisen (2003) démontre que chacune de nos cellules, si elle contient les organes nécessaires à sa survie, contient aussi les armes capables de la détruire (c’est ce que les biologistes appellent l’apoptose, ou mort programmée des cellules). “Au stade embryonnaire, par exemple, nos organes ne poussent pas comme le feraient des plantes ; les mains qui sont d’abord des sortes de moufles, comportent certaines cellules, programmées pour cela, qui vont s’autodétruire afin de laisser des espaces libres -– sculptant ainsi une main en enlevant de la matière”7. Il me semble que cette remarque concernant le développement de la main illustre bien, ce que dit Freud sur les rapports empreints de compromis entre la vie et la mort. La relation entre ces deux phénomènes ne se situerait-elle donc pas uniquement dans une opposition bilatérale ? La vie ne serait-elle pas aussi vertueuse au point d’être définie comme étant “l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort”(Bichart, ?)8 ? Par conséquent, il n’y aurait pas de bon (la vie) et de mauvais (la mort) côté. Comme le bagnard de Graham, nous devons composer avec le blanc et le noir et c’est là une singularité car l’un ne va pas sans l’autre alors que leur dessein est antagoniste. Cela cautionne le sentiment de se sentir pris au piège dans cette économie de la répétition à laquelle s’adonnent la vie et la mort et qui nous échappe – si ce n’est pas dans sa totalité en tout cas en partie, il en est pour preuve que nous essayons par tous les moyens scientifiques, philosophiques et religieux de contrôler leur commerce. Leur interaction tisse inévitablement un filet dont on ne saura certainement jamais qui en fera le dernier nœud bien que l’Homme mette tout en œuvre, comme nous l’avons déjà dit, pour leur damer le pion, ce qui le placerait au-dessus de la nasse. Pour continuer avec les métaphores halieutiques parfois éculées mais encore éloquentes à mon sens, nous soumettrons que l’être humain n’est pas le fil qui façonne ledit filet mais une partie de ses mailles ; mailles qui sont condamnées à être bouclées et à en engendrer d’autres tout en étant pleines de vide. Ce dernier qui, paradoxalement, modèle la main, l’a libérée et nous permet de pratiquer le piano. De re-jouer les règles sur les touches blanches et noires, de nous évader du filet, de la structure, momentanément (les poignets sont toujours menottés). Tout cela pour dire que j’aime à croire que dans A reverie interrupted by the police Graham s’est attaché au vide, à l’absence de notes dans une ou plusieurs mesures : au silence en tant qu’espace de liberté au sein d’une structure spatio-temporelle à circuit fermé, et ceci afin de nous et de se proposer, non sans humour, une échappatoire à l’encontre de ce processus de répétition qu’il a largement envisagé dans ses précédentes oeuvres9. Cette croyance est principalement fondée sur le fait qu’il s’agit ici d’une référence à l’idée du silence émise par Cage (1970). En effet, ses recherches l’ont amené à déclarer qu’il n’y avait pas de silence et par ce fait la structure devient caduque. Un peu plus loin dans l’entretien qu’il a avec Charles, cité plus haut dans le texte, celui-ci lui demande :

[…] Si le silence n’existe pas, on ne peut pas le posséder. Si le son et le silence à la fois s’opposent et sont le même, est-ce qu’on peut posséder les sons ? Est-ce bien là ce que vous vous êtes dit ?

Cage répond :

Oui, et vous comprenez alors comment j’ai été conduit à repenser la structure. Si le silence n’existe pas, nous n’avons que les sons. Mais, à ce moment, on commence à s’apercevoir qu’on n’a plus besoin de la structure. Petit à petit, j’ai brisé toute structure. (1970, p. 35)

Si Graham ne va pas jusqu’à “briser toute structure” – vers une liberté ou vers un nouvel enfermement, pourrait-on dire -– car son film est, comme nous l’avons souligné précédemment, organisé à l’aide du loop, nous pouvons néanmoins imaginer qu’à travers l’œuvre du compositeur d’avant-garde10, il aspire à un moment d’évasion et crée probablement sa porte de sortie et certainement une porte d’entrée pour nous faciliter l’accès à son travail. “Il y a souvent un dedans et un dehors dans les œuvres de Rodney Graham” (Christov-Bakargiev, 2003, p.18).
Outre cela, il semble possible de jeter un pont entre cette prison qu’est le cycle potentiellement infini de la vie et de la mort, et le Cycle des existences dans le bouddhisme qu’est le Samsâra (Migration), se traduisant par la succession de renaissances au sein des différentes conditions d’existence, auxquelles un individu ne peut se dérober tant qu’il n’a pas obtenu la libération. L’enchaînement au Samsâra est la conséquence des Trois Racines du Malsain : haine, désir et ignorance. La condition de renaissance est déterminée par le Karma (Mort) de chacun c’est-à-dire que, selon la loi de causalité, notre expérience actuelle est le produit de nos actes et intentions passés, et les conditions futures dépendent de ce que nous faisons aujourd’hui11. La libération, autrement dit le Nirvana (Extinction), étant le but de la pratique spirituelle dans toutes les branches du bouddhisme. Il découle sur la délivrance du cycle des renaissances (Samsâra) et le passage à une condition d’existence complètement différente. Cet état exige une victoire totale sur les Trois Racines du Malsain et l’apaisement de toutes les velléités d’action. Il signifie la libération du déterminisme lié au Karma12.
Nous ajouterons ici que Cage s’est beaucoup intéressé au Zen qui est, comme on le sait, l’Ecole du bouddhisme qui se développa en Chine, et dont il côtoya quelques-uns de ses Maîtres. L’apport de la culture orientale a d’ailleurs joué un rôle important dans l’élaboration de son œuvre.
Freud pour sa part a mentionné pour la première fois en 192013 le principe du Nirvana “pour désigner la tendance de l’appareil psychique à réduire à zéro ou au minimum la quantité d’excitation d’origine intérieure ou extérieure.”14 Quant à Graham, c’est dans Aberdeen (2000) qu’il a investi le Nirvana.

[Cette pièce] relate le pèlerinage de Rodney Graham dans la ville natale de Kurt Cobain, le chanteur du groupe rock Nirvana dans les années 1990. Cette façon de visiter la petite ville d’Aberdeen, dans l’Etat de Washington, pour se rapprocher de Nirvana et du Nirvana, relève d’une démarche foncièrement anarchique visant à mettre le transcendantal au même plan que le quotidien. (Spira, 2003, p.94)

Selon Duplaix (2004), l’artiste canadien intègre dans ses œuvres la répétition comme principe moteur mais dans lesquelles l’extase et l’introspection sont traitées de manière dérisoire, distancée ou même grinçante. À propos de ce traitement Graham dit : “Je suis pour l’ironie dans le travail, mais je crois qu’il faut lui donner de la profondeur” (2003, p.82). S’il porte un regard critique sur certains modes opératoires visant à libérer notre conscience et qui ont nourri les utopies des années 6015, il paraît nous laisser un indice nous informant que lui non plus n’a pas trouvé de véritable issue – que ce soit dans l’immortalité de la répétition ou dans un autre espace-temps mais celui-là lisse, dé-structuré – pour échapper au cycle de l’existence, à sa décrépitude physique et mentale, en inscrivant sur son bonnet de bagnard le nombre 53 qui a la double fonction de nous aviser du matricule du détenu et de l’âge de Graham lorsqu’il a tourné ce film16. Je terminerai avec cette remarque de Freud (1919, pp.240-241) :

C’est sans doute une expérience indifférente que de recevoir par exemple en échange de ses habits, qu’on a déposé dans un vestiaire, un ticket marqué d’un certain numéro – disons : 62 –, ou de trouver que la cabine qui nous a été attribuée sur un bateau porte le même numéro. Mais cette impression se modifie si ces deux événements en eux-mêmes indifférents se trouvent rapprochés, de sorte qu’on se trouve confronté plusieurs fois dans la même journée un nombre 62, et si de plus l’on venait ensuite à faire l’observation que tout ce qui est porteur d’un numéro (adresses, chambres d’hôtel, wagons de chemin de fer, etc.) renferme à chaque fois le même nombre, ne serait-ce qu’à titre d’élément partiel17. On trouvera cela unheimlich, et quiconque n’est pas cuirassé contre les tentations de la superstition sera porté à attribuer à ce retour obstiné du même nombre une signification secrète [geheim], à y voir par exemple l’indication du temps de vie qui lui est imparti.

Freud lui-même avait atteint l’âge de soixante-deux ans un an plus tôt, en 1918.


1. Hauser & Wirth Zürich, Limmatstrasse 270, CH-8005 Zürich
2. Du 25 octobre au 21 décembre 2003
3. J’ai durant environ trois ans recueilli suffisamment de cartons d’expositions pour en remplir deux boîtes d’archives et deux classeurs fédéraux. J’ai depuis arrêté, ou presque, cette accumulation trop encombrante.
4. R. Graham, 2004 [extrait traduit par J.-F. Allain] In Sons & Lumières. Paris, Centre Pompidou/catalogue d’exposition, 2004, p. 354.
5. “Pour Parsifal, j’ai ajouté un morceau de musique basée sur la composition de Wagner. J’ai donné à l’opéra de Wagner une portée de plusieurs millions d’années pour jouer sur la longueur de la pièce. Le point de départ était une anecdote selon laquelle il n’y avait pas assez de musique dans cet opéra pour couvrir les changements de scènes. J’ai lu l’histoire qui raconte qu’ Englebert Humperdinck (compositeur et assistant de Wagner) avait dû composer plusieurs mesures pour allonger le morceau. Pour ajouter de la musique à la composition de Wagner, il a réalisé une modulation qui renvoie la musique à son point de départ de sorte qu’elle puisse être bouclée. Il a créé une structure en boucle qui pouvait être jouée éternellement jusqu’à la fin du changement de scène. La synchronisation problématique du son et de l’image m’a rappelé les clips. Mon morceau a été conçu à l’origine pour l’Opéra de la Monnaie à Bruxelles. Serges Dorny, qui m’avait invité a trouvé une copie du manuscrit de Humperdinck. J’ai fait une manipulation semblable de sa musique, ce qui revenait à inverser l’idée du chef-d’œuvre intégral, où rien ne peut être ajouté ni retiré. J’ai choisi Wagner à cause de cette anecdote et parce que j’avais déjà travaillé avec des boucles. ” R. Graham, conversation avec E. Wittocx In DITS. Publication du Musée des Arts Contemporains de la Communauté française de Belgique, 2006 (n°6), p.65.
6. On notera qu’autant Cage que Graham ont pour référence le compositeur Erik Satie. Nous pouvons rappeler ici que Vexations de Satie est une pièce qui se compose d’un passage en accord court, et est prévue pour être répétée 840 fois. De façon à jouer cette phrase 840 fois, recommandait Satie, l'interprète devrait se préparer par l'exercice d'un silence profond et d'une immobilité recueillie. (Les informations concernant Vexations ont été tirées des sites internet suivants : http://www.vibrofiles.com/exhibition_sonic_boom.php ; http://www.faktis.com/wiki/fr/ve/Vexations.htm en fonction/nov. 2006).
7. A. Hennessy commentaire sur l’ouvrage de J-C Ameisen.
8. Citation du Petit Robert (2002, p.2773) sous la définition du terme « vie ».
9. R. Graham dit à propos de A reverie interrupted by the police : “Mon but était de créer une situation ambiguë, […] ça pouvait être un va
udeville ou la réalité, je pouvais aussi envoyer des messages codés à mes collègues pour qu’ils me libèrent de la prison.” Conversation avec E. Wittocx In DITS. Publication du Musée des Arts Contemporains de la Communauté française de Belgique, 2006 (n°6), p.67.
Toutefois, je ne nie pas pour autant la capacité qu’a la répétition à offrir un déplacement ouvrant sur un espace-temps de variations singulières (Davila, 2006). Ce qui m’intéresse dans ce film de Graham c’est sa tentative d’aller vers un autre espace-temps par l’évasion et pas uniquement par la répétition, ce qu’il a déjà mis en relief ultérieurement dans d’autres travaux de l'artiste comme en témoignent Spira (2003) et Duplaix (2004).
10. Sur A reverie interrupted by the police :“J’aime l’ironie qu’il y a dans le contraste de la police [un policier en uniforme est posté à côté du pianiste] et la représentation d’avant-garde.” Rodney Graham, conversation avec Eva Wittocx In DITS. Publication du Musée des Arts Contemporains de la Communauté française de Belgique, 2006 (n°6), p.67.
11. Les actes se répartissent en trois catégories : 1) sains, tendant vers une condition de renaissance plus élevée du Samsâra ou, dans le cas d’une étude éveillé, vers la libération ; 2) malsains, tendant à perpétuer la confusion et la douleur ; 3) neutres.
12. Ces définitions sont toutes tirées de l’ouvrage de S. Bercholz & S. Chödzin Kohn, Pour comprendre le bouddhisme. Une initiation à travers les textes essentiels (M. Garène, B. Lagides, B. Seytre, trad.), Edition Robert Laffont, 1993 (Original publié 1993).
13. Dans Au-delà du principe de plaisir
14. Suite de la citation : “Dans cet essai, la définition du principe de Nirvana est identique à celle du principe de constance et présente la même ambiguïté que celle-ci en ce qui concerne la tendance à zéro ou à la constance. Quatre ans plus tard, dans l’article sur Le problème économique du masochisme (1924), Freud distinguerait ces deux principes en postulant le rapport étroit entre le principe de Nirvana et la pulsion de mort : “Le principe de Nirvana exprime la tendance de la pulsion de mort […] .” Cela veut dire que la tendance à zéro du principe de Nirvana exprime la tendance fondamentale du psychisme, tandis que le principe de plaisir -– qui peut être lui-aussi appelé principe de constance – est une modification qui atténue cette tendance, dans le sens de conserver constante l’excitation, de l’empêcher de monter. Il s’agit, dans le fond, de la même tendance, prise dans son vecteur radical ou dans son vecteur relatif, mais toujours dans la même direction. Freud établira enfin les corrélations suivantes : principe de Nirvana en tant que tendance de la pulsion de mort ; principe de plaisir en tant que revendication de la libido ; principe de la réalité, une modification du principe de plaisir, en tant qu’influence du monde extérieur.” Marco Antonio Coutinho Jorge, Les quatre dimensions du réveil : rêve, fantasme, délire, illusion, séminaire hebdomadaire au Corpo Freudiano di Rio de Janeiro, (?).
15. Cf. S. Duplaix, Om / Ohm ou les avatars de la Musique des sphères In Sons & Lumières, Paris, Centre Pompidou/catalogue d’exposition, 2004, pp. 91-101.
16. R. Graham est né en 1949, il a projeté ce film au Canada au début de l’année 2003, il doit donc l’avoir réalisé et imaginé en 2002, il avait alors 53 ans.
17. Il y a 52 touches blanches sur un piano ; “L’idée de cette œuvre vient d’un essai d’André Breton des années 1950, qui fait référence à une émission de radio du 28 septembre 1951 intitulé « La coupe de France de variétés », où les auditeurs entendent « un concert donné par les “artistes” de la préfecture de police avec monologue d’inspecteur, grand air de Paillasse, morceau de piano exécuté menottes aux mains”. R. Graham, 2004 [extrait traduit par J.-F. Allain] In Sons & Lumières. Paris, Centre Pompidou/catalogue d’exposition, 2004, p. 354 ; En 1951, John Cage visite une chambre sourde, aéchogène, croyant y faire l'expérience du silence absolu.

Références bibliographiques :

Bercholz, S. & Chödzin Kohn, S. (1993). Pour comprendre le bouddhisme. Une initition à travers les textes essentiels (M. Garène, B. Lagides, B. Seytre, trad.), Paris : Editions Robert Laffont, (Original publié 1993)
Cage, J. (2002). Pour les oiseaux. Entretiens avec Daniel Charles. Paris : l’Herne (Entretiens réalisés en 1970-1971)
Christov-Bakargiev, C. (2003). Un monde à l'envers et sens dessus dessus In Rodney Graham (pp. 9-32). [mac] galeries contemporaines des musées de Marseille en collaboration avec l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts à Paris
Sipar, A. (2003). Un Voyage Cyclo-logique In Rodney Graham (pp. 9-32). [mac] galeries contemporaines des musées de Marseille en collaboration avec l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts à Paris
Davila, T. (2006). Histoire de l'art, histoire de la répétition. In Fresh Théorie II. Black Album. (pp. 190-205). Paris : Editions Léo Scheer
Duplaix, S. (2004). Om / Ohm ou les avatars de la Musique des sphères In Sons & Lumières. Paris : Centre Pompidou/catalogue d’exposition. pp. 91-101
Freud, S. (1985). L’inquiétante étrangeté et autres essais (B. Féron, trad.). Paris : Gallimard/Folio Essais / (Original publié 1919)
Feud, S. (1981). Au-delà du principe du plaisir. In Essais de psychanalyse (J. Laplanche et J.-B. Pontalis, trad.)(pp. 40-114). Lausanne : Editions Payot (Original publié 1920)
Feud, S. (1981). Le Moi et le Ca. In Essais de psychanalyse (J. Laplanche, trad.)(pp. 219-275). Lausanne : Editions Payot (Original publié 1923)
Graham, R. (1996). Œuvres Freudiennes/Œuvres Wagnériennes (Th. Dubois, trad.). Rochechouart : Musée départemental de Rochechouart et Yves Gevaert Editeur
Wittocx, E. (2006, hiver-printemps). Rodney Graham, conversation avec Eva Wittocx In DITS. Publication du Musée des Arts Contemporains de la Communauté française de Belgique, 6, (pp. 58-73)

Le Génie, le Sombreur et le Philosophe

Ce titre pourrait être celui d’un remake du film de Sergio Leone Le Bon, la Brute et le Truand (1966). Pourtant, si Tuco (le Truand) échappe à la mort régulièrement grâce à l’intervention programmée de Blondin (le Bon) qui sectionne, d’une balle de winchester, la corde destinée à le pendre pour ensuite s’enfuir et se partager la prime que le Bon a perçu peu avant pour avoir donné à la justice son acolyte le Truand, Wertheimer (le Sombreur) se pendra bel et bien, à l’âge de cinquante et un ans, à un arbre se trouvant devant la maison de sa sœur, dans la région de Coire. Ce suicide, nous l’apprenons par le narrateur (le Philosophe) du livre de Thomas Bernhard Le naufragé qui se rend à l’enterrement de son ami et qui se remémore leur rencontre déterminante en 1953 avec Glenn Gould (le Génie) qui fut “d’emblée figure de génie triomphant au point de détourner brutalement et définitivement les deux autres de leur carrière de pianiste virtuose” (Kreiss, 1986). C’est en effet après avoir entendu Glenn Gould jouer les Variations Goldberg lorsque les trois jeunes pianistes répétaient ensemble, avec acharnement, durant la période où ils suivaient un cours d’Horowitz au Mozarteum de Salzbourg que Wertheimer et le narrateur ont pris conscience qu’ils ne pourraient jamais atteindre le niveau de jeu de “la célébrité mondiale” (Bernhard, 1983). Mais si le Philosophe, “après s’être séparé de son Steinway, se mue alors délibérément en un « artiste de la représentation du monde » (Weltanschauungskünstler) tout entier voué à la rédaction toujours recommencée d’un interminable essai sur Glenn Gould, son ami Wertheimer s’engage sur la voie fatale du vaincu, du Sombreur, comme Glenn Gould en personne l’a plaisamment mais fort exactement surnommé aussitôt après avoir fait sa connaissance”1(Kreiss, 1986).
Hormis le fait d’avoir en commun une pratique pianistique, les protagonistes de ce livre ont tous les trois contracté une maladie pulmonaire. Si, en réalité, Glenn Gould n’a jamais été malade des poumons de manière incurable, Thomas Bernard lui fût atteint enfant de la tuberculose par contagion d’une pleurésie ce qui lui valu d’avoir un souffle court pour le restant de sa vie. L’auteur autrichien tord régulièrement la réalité dans son ouvrage en y injectant des éléments erronés sur la biographie de Glenn Gould. Comme le mentionne Kevin Bazzana (?), le musicien est mort à l’âge de 50 ans et non à celui de 51 ans (précisons que c’est Thomas Bernhard qui avait 51 ans à la mort du virtuose canadien). Outre cela, selon le narrateur, Glenn Gould interprète les Variations Goldberg au Festival de Salzbourg en 1955 alors qu’il a joué dans cette ville le 10 août 1958 au Festspielhaus (le Concerto en ré mineur de Bach avec le Concertgebouw d'Amsterdam dirigé par Dimitri Mitropoulos) et le 25 août 1959 (un récital Sweelinck – Schoenberg – Mozart – Bach, dont les Variations Goldberg)2. Vladimir Horowitz n’a pratiquement jamais enseigné et il ne donna plus de concert de 1935 à 1939, puis de mars 1953 à mai 19653. On notera qu’il revint sur scène un an après que Glenn Gould s’en fut retiré définitivement car comme on le sait, il stoppa net sa carrière de concertiste en 1964 pour se consacrer uniquement à des enregistrements de disques, d’émissions de radio et de télévision4 (c’est un élément de la biographie de l’interprète que Thomas Bernhard a gardé). D’autre part, à l’inverse de ce que prétend le Philosophe5, Glenn Gould a passé une grande partie de son temps à écrire, il disait du reste : “Je ne suis pas un pianiste, mais un écrivain, un compositeur et un homme de communication qui joue du piano à ses moments perdus”6. Il prétendait même qu’“il ne jouait pas de piano ; presque jamais. Il le disait et il ne mentait pas”, selon Michel Schneider (1988, p.37) ; et “avait confié à Bruno Monsaingeon7 qu’il arrêterait la musique complètement en 1985 et qu’alors il ne ferait plus qu’écrire”. Glenn Gould écrivait quotidiennement. “Il écrivait des pages et des pages. Des dizaines de milliers de pages où l’on retrouve des considérations médicales, des fragments de récits, des sortes de fictions” (Schneider, p.1988, p.37). Il reste à ce jour un grand nombre d’écrits produits par Glenn Gould qui n’ont pas été publiés et notamment un journal qu’il tint durant une crise d’hypocondrie de presque un an8. Par ailleurs, bien qu’il haïssait les villes9, il a toujours vécu entre New York et Toronto (où il y est mort en 1982 d'un accident vasculaire cérébral dans un appartement) et ne s’est pas exilé dans une maison-studio en forêt tout en affirmant que “New York est la seule ville au monde où l’homme d’esprit respire librement dès qu’il y pose le pied” (Bernhard, 1983, p. 25). Nous pourrions trouver encore un bon nombre de ces petits décalages qui permettent à Thomas Bernhard de brouiller les pistes entre la réalité et la fiction. En outre, en y regardant de plus près, on remarque qu’une partie des éléments biographiques du livre qui sont attribués à Glenn Gould appartiennent à la vie de Thomas Bernhard et que d’autres attribués à Wertheimer appartiennent à la vraie biographie de Glenn Gould et que l’écrivain les articule et les redistribue à sa guise, comme des cartes, au sein de cette triangulation. Par exemple, c’est Wertheimer qui “a écrit sans trêve ni repos pendant des années, des dizaines d’années” (p.45) et non pas Glenn Gould comme on l’a souligné. Ce dernier n’a jamais fréquenté les cours du Mozarteum à Salzbourg alors que Thomas Bernard y a étudié de 1952 à 1956 et en est diplômé. Pour finir, si le Génie s’est retranché “dans sa cage en Amérique” et que le Sombreur “dans sa cage en Haute-Autriche”(p.47), Thomas Bernhard s’est aussi retiré en 1965 (et, pour rappel, une année après que Glenn Gould ait abandonné sa carrière de concertiste et par conséquent la même année à laquelle Vladimir Horowitz a repris la sienne) dans une ferme de Haute-Autriche, où il est mort en 1989 d’une crise cardiaque, de la même manière que son Glenn Gould.
Nous pouvons donc considérer que Thomas Bernhard a manipulé la vie et le personnage de Glenn Gould afin de l’adapter à sa biographie. Comme le précise Kevin Bazzana (?), “le narrateur, Wertheimer et Gould incarnent diverses facettes de la personnalité de Bernhard”. À vrai dire, Thomas Bernhard ne brouille pas les pistes mais les multiples car au fond, ce partage des biographies lui donne les moyens d’opérer une dissection sur lui-même et la société10. Par l’intermédiaire du Philosophe, du Sombreur et du Génie l’auteur crée une trame qui lui permet d’interroger et de critiquer par différentes approches l’aliénation de l’individu occidental par les institutions et les conditions sociales (économiques, artistiques, politiques et religieuses) dans lesquelles il vit. L’écrivain mènera son analyse jusqu’au rapport de contamination, d’assujettissement, qu’ont les personnages entre eux. Dès lors, je pense que cet ouvrage met en lumière la conscience extrême qu’ont ces trois figures – et par ce biais Thomas Bernhard – de leur étouffement engendré par le processus par lequel l’être humain est rendu comme étranger à lui-même lorsqu’il évolue en société ou pour reprendre une phrase interrogative de Roland Barthes11, “à quelle distance dois-je me tenir des autres pour construire avec eux une sociabilité sans aliénation ?” Mais, y a-t-il une distance viable ? Semble demander Thomas Bernhard. Chacun des personnages apporte une tentative de réponse différente et qui ne va pas sans son lot de paradoxes. J’irais jusqu’à dire que si autant Thomas Bernhard que Glenn Gould se caractérisent par leurs paradoxes, l’écrivain ne fera rien pour dénouer leurs propres contradictions dans ce récit et ne fera qu'entrelacer plus encore le labyrinthe. Le Sombreur concrétisera cette métaphore de l’asphyxie en se pendant, ce qui fera dire au narrateur en guise d’introduction que se fut “un suicide mûrement réfléchi, pensai-je, nullement un acte spontané de désespoir” (p. 9). Si sa rencontre avec le Génie fut ravageuse et le condamna à ne pas poursuivre sa carrière de virtuose parce qu’il avait trouvé en Glenn Gould un maître insurmontable, sa mise en abîme fut largement lestée par la relation qu’il entretenait avec sa famille. C’est pour s’émanciper d’elle et plus particulièrement de son père qu’il étudia l’art et donc la musique, “uniquement pour [lui] damer le pion” (p.28). Lui qui considérait comme une catastrophe le fait que son fils étudie le piano. Celui-ci tout comme le narrateur (car le fait de se plonger dans une carrière artistique en vue de s’affranchir du carcan parental était une motivation commune aux trois musiciens) ont dû reconnaître qu’ils ont échoué dans leur carrière de virtuose, “échoué très tôt déjà et de la façon la plus honteuse”(p.29), comme aimait à le répéter le père du narrateur et par conséquent ils ont finalement donné raison à leur famille. Après cet échec, Wertheimer misera son salut sur les sciences humaines, mais il étouffera rapidement sous “l’énorme matériel dont nous disposons dans tous les domaines” (p.76) ce qui le conduira à penser que vouloir “mettre au monde un produit de l’esprit”(p.77) est une tâche tout bonnement impossible, “c’est de la folie !” (p.77) et que les grands penseurs sont condamnés à être “enfermés dans nos bibliothèques d’où ils nous regardent fixement”(p.78). Wertheimer le Sombreur finira, peu avant de se pendre, par brûler “des centaines et des milliers de papiers” (p.187), tous ses écrits.
Le Génie optera pour l’exil afin d’être le moins possible confronté à ses congénères. Lui qui “parmi les pianistes virtuoses célèbres, il était le seul à exécrer son public, le seul aussi à s’être effectivement et définitivement retiré loin de ce public exécré. Il n’en avait pas besoin. Il s’acheta la maison dans le bois et s’installa dans cette maison et se perfectionna”(p.31). Là-bas, Glenn Gould poussera son jeu à l’extrême et sera “rapidement annihilé par son obsession de l’art, son radicalisme pianistique” (p.11). Il avancera même que :

L’interprète au piano (il ne disait jamais pianiste !) est celui qui veut être piano, et je me dis d’ailleurs chaque jour, au réveil, que je veux être le Steinway, c’est le Steinway lui-même que je veux être […] L’idéal serait que je sois Steinway, je pourrais me passer de Glenn Gould […] en étant Steinway, je pourrais rendre Glenn Gould superflu. Mais il n’y a pas à ce jour un seul interprète au piano qui soit parvenu à se rendre superflu en étant Steinway, C’est Glenn qui parle. Me réveiller un jour et être Steinway et Glenn en un seul, […] Glenn Steinway, Steinway Glenn… (pp.94-95).

Disparaître à tout prix, quitte à ne même plus s’incarner dans un corps mais n’être plus qu’une “machine à faire de l’art”(p.105), Peter Szendy (2002, p.16) aurait ajouté qu’“il n’y aura(it) Glenn Steinway qu’au moment où Glenn, devenu « superflu », se sera(it) définitivement dissout dans un Steinway jouant seul”.
Je ne peux m’empêcher ici de revenir au vrai Glenn Gould et sur le rapport qu’il entretenait avec son corps. Michel Schneider (1988, p.87) nous rappelle que “Gould avait de nombreuses obsessions concernant son corps et les diverses maladies qui pouvaient l’accabler” et dans son livre, il relate un bon nombre d’anecdotes autour de ses obsessions d’hypocondriaque. Il donnera à ces dernières une légitimité en allant dans le sens de “Glenn Steinway” :

Pour les pianistes, le piano n’est pas un instrument dont se servirait leur corps, il est leur corps, et peut-être certains ont-ils besoin de celui-là pour en avoir un. Dès lors, quoi d’étonnant à ce que ce corps soit l’objet d’une attention détaillée, d’un inlassable questionnement concernant ses faiblesses et ses limites ? […] Regardez-le [Glenn Gould], penché, rabattu sur son clavier, comme s’il voulait qu’il n’y ait plus de piano entre lui et la musique et chercherait à s’abolir dans le piano, à se confondre. (1988, p.91 et p.96)

Si Glenn Gould n’a pas réussi à se dissoudre dans son piano, la posture qu’il prenait pour jouer était telle, que son menton touchait presque le clavier. On connaît sa fameuse chaise pliable12 qu’il emportait partout et dont il avait fait scier les pieds (ce serait son père qui l’aurait customisée) pour être assis plus bas (après modification son placet était à 35 cm du sol alors qu’un tabouret standard pour pianiste fait environ 45 cm à 50 cm de hauteur). Il jouait donc le dos voûté et recroquevillé, mais se tenait en contre parti plus près de l’instrument. Lui qui tenait temps à disparaître physiquement, sa posture est devenue un mythe (cette notion du devenir a été développée de manière plus détaillée dans le texte suivant : Glenn Steinway – corps et âme. Sur le devenir). En outre, Glenn Gould portait une grande quantité de couches d’habits non seulement pour se protéger du froid qu’il avait en horreur mais aussi pour se protéger des contacts physiques avec autrui, comme une armure13. Il n’a serré qu’à de très rares exceptions la main de ses amis proches. “[…] Il pût jaillir de son fauteuil par peur d’être approché par un technicien passant à un mètre, comme si le corps de l’autre ne pouvait lui être que blessure ou infection […]” (Schneider, 1988, p.92). Toutefois, il me semble que malgré la surprotection de son corps, Glenn Gould souhaitait profondément lui échapper, sans soustraire dans l’idée – platonicienne – d’aboutir à l’exécution d’une pure œuvre en passant par le moins de médiation possible14. L’interprète déclarait que :

Ce n’est pas avec les doigts, mais avec le cerveau qu’on joue du piano et j’ai besoin d’avoir le sentiment que ce ne sont pas mes doigts qui jouent, que ceux-ci ne sont rien d’autre que de simples extensions indépendantes qui se trouvent être en contact avec moi à un instant précis. Il me faut trouver un moyen de me distancer de moi-même tout en étant complètement engagé dans ce que je fais.15

Michel Schneider (1988) dira à ce propos que :

C’est dans la distance du sensible (non seulement pour Gould se mettre à l’écart de son public, mais demeurer, au piano, loin du piano, tout en étant le plus près possible physiquement), que l’acte mentale construit son objet à la place de l’objet réel. (p.29)

À défaut d’avoir la plasticité d’un Barbapapa16 et de pouvoir se transformer à volonté en la prothèse qu’il désire être – ici le piano, Glenn Gould a opté pour une autre technique, l’enregistrement. Celui-ci lui permettait de travailler dans l’après-coup mais aussi de se multiplier en effectuant le nombre de prises qu’il souhaitait pour pouvoir ensuite les mixer et réaliser une re-composition en dehors du moment où le musicien avait une interaction physique avec son piano. Ce fut sans doute un moyen pour Glenn Gould d’augmenter la distance avec son instrument pour se rapprocher d’un jeu qu’il voulait mental, intellectualisé. J’aime à voir dans cette manière de procéder un lien avec la façon dont Thomas Bernhard découpe, séquence la biographie de Glenn Gould et la sienne pour la re-composer et la re-distribuer aux trois personnages de son livre pour mieux les examiner.
Il y a du Monsieur Teste dans Le naufragé de Thomas Bernhard17 comme il y a aussi du Monsieur Teste dans le Glenn Gould original. Enrique Vila-Matas (2000) nous rappelle, dans son livre Bartleby et compagnie, que l’alter ego de Paul Valéry “a non seulement renoncé à écrire mais, de surcroît, jeté sa bibliothèque par la fenêtre” (p.28) et il souligne plus loin que “ Monsieur Teste n’était pas philosophe ni rien de tout cela. Il n’était pas même littérateur. Et grâce à cela, il pensait beaucoup. Plus on écrit, moins on pense” (p.119). Tout comme Monsieur Teste, le Génie n’écrit pas et le Philosophe renoncera au piano et sera dans l’impossibilité d’écrire son essai sur Glenn Gould18. Le narrateur est le seul survivant des trois, le seul en fin de compte qui a renoncé radicalement au piano et à vivre dans ses appartements en Autriche qu’il avait reçu en héritage. Il a “tout balancé” pour se retirer rue Calle del Prado à Madrid et devenir un “artiste de la représentation du monde ” (p.60).

Il n’est pas indispensable, après tout, que nous soyons toujours en train d’étudier quelque chose […], penser nous suffit, penser uniquement, simplement laisser se dérouler la pensée. S’en remettre à sa représentation du monde, s’abandonner simplement à cette représentation du monde, mais c’est le plus difficile… (p.60)

Toutefois, le Philosophe ne renoncera pas à l’écriture, en revanche il ne terminera pas son essai sur Glenn Gould et préférera le recommencer inlassablement comme si cette répétition paradoxale était l’unique moyen de ne pas disparaître et d’éviter à tout prix de n’être qu’une seule piste, une seule voie/x, celle de l’écrivain qui aurait écrit un essai sur le Génie parce qu'il fut anéanti par celui-ci faute de n’avoir pas su le faire réapparaître.

“… le poumon ne fait pas le génie, pensais-je…”19


1. C’est aussi Glenn Gould qui attribue au narrateur le surnom de Philosophe et c’est celui-ci qui qualifie Glenn Gould de génie.
2. Cf. Kevin Bazzana, The Loser : compte rendu, (?), (ce texte a été trouvé à l’adresse internet suivante :
http://www.collectionscanada.ca/glenngould/028010-503.5.7-f.html
3. Cf. Michel Schneider, Glenn Gould. Piano solo, Paris : Gallimard, 1988, p.249
4. Ibid. p. 13
5. “Glenn Gould n’a rien couché sur le papier” (Bernard, 1983, p.45)
6. Glenn Gould cité par Michel Schneider, Glenn Gould. Piano solo, Paris : Gallimard, 1988, p.80
7. Bruno Monsaingeon est un cinéaste et violoniste. Il a réalisé et produit des documentaires dédiés à des grands interprètes de musique classique et notamment L’Alchimiste – Récital (DVD, EMI) sur Glenn Gould
8. Michel Schneider, Ibid. p. 265
9. Ibid. p. 69
10. Thomas Bernhard donne régulièrement ce rôle au narrateur de ses livres. Dans Des arbres à abattre (1984), celui-ci se décrit en ces mots : “Je suis l’observateur, l’ignoble individu qui s’est confortablement installé dans le fauteuil à oreilles et s’adonne là, profitant de la pénombre de l’antichambre, à son jeu dégoûtant qui consiste plus ou moins à disséquer, comme on dit, les invités des Auersberger. Ils m’en avaient toujours voulu de les avoir toujours disséqués en toute occasion, effectivement sans le moindre scrupule, mais toujours avec une circonstance atténuante ; je me disséquais moi-même encore bien davantage, ne m’épargnais jamais, me désassemblais moi-même en toute occasion en tous mes éléments constitutifs…”(p.63)
11. Cf. Roland Barthes, Comment vivre ensemble – Cours et séminaire au Collège de France (1976-1977), Paris : Seuil, 2002
12. On peut même acheter des répliques de cette chaise fameuse sur internet : http://www.glenngould-chair.com/francese/accueil.htm
13. Je ne peux m’empêcher ici de penser au Predator (le personnage de science-fiction de Jim et John Thomas) qui est muni à la fois d’une armure et qui est aussi capable de se rendre invisible
14. Cf. Elie During, Logiques de l’exécution : Cage/Gould, Article paru dans Critique, N°639-640, Dossier « Musique(s). Pour une généalogie du contemporain », août-septembre 2000.
15. Glenn Gould cité par Michel Schneider, Glenn Gould. Piano solo, Paris : Gallimard, 1988, p.125 et 128
16, Rappelons que Barbalala qui est la musicienne de la famille se transforme à volonté en l’instrument qu’elle désire jouer. Parfois ses frères et sœurs l’accompagnent et deviennent aussi le propre instrument.
17. Thomas Bernhard fait d’ailleurs directement référence au livre de Paul Valery dans un autre de ses ouvrages, Corrections (1975). En relisant pour nous les écrits de Roithamer un biologiste qui vient de se pendre à un arbre de la forêt de Kobernauss, le narrateur qui est son exécuteur testamentaire nous apprend ceci-ci à son sujet : “J’avais rassemblé dans la mansarde Höller [lieu où il travaillait] tous les livres et écrits possibles, qui m’étaient accessibles et étaient utiles à mon esprit […] et dans ces livres et écrits importants j’avais arraché les pages les plus importantes pour moi et les avaient fixées au murs […] de Valéry j’avais fixé au mur presque toutes les pages de Monsieur Teste…” (p.340)
18. Il est d’ailleurs étonnant qu’Enrique Vila-Matas n’est pas fait figurer Le naufragé ou mentionné l’œuvre de Thomas Bernhard dans son ouvrage Bartleby et compagnie qui traite des écrivains ayant renoncé à écrire et qui a pour dessein de les rassembler.
19. Hélène Cixous, Manhattan, éditions Galilée, 2002, p. 93 cité par Jacques Derrida In Genèses, généalogies, genres et le génie. Les secrets de l’archive. Editions Galilée, 2003, p. 81.

Références bibliographiques :

Barthes, R. (2002). Comment vivre ensemble – Cours et séminaire au Collège de France (1976-1977). Paris : Seuil IMEC/traces écrites
Bernhard, T. (1987). Des arbres à abattre (B. Kreiss, trad.). Paris : Gallimard/ Folio (Original publié 1984)
Bernhard, T. (1986). Le naufragé (B. Kreiss, trad.). Paris : Gallimard/ Folio (Original publié 1983)
Bernhard, T. (1978). Corrections (A. Kohn, trad.). Paris : Gallimard (Original publié 1975)
Schneider, M. (1988). Glenn Gould, piano solo. Paris : Gallimard/ Folio
Szendy, P. (2002). Membres fantômes. Paris : Editions de Minuit
Vila-Matas, E. (2002). Bartleby & compagny (E. Beaumatin, trad.). Paris : 10/18 (Original publié 2000)

Le génie de la la[...]e

Du dédoublement

Le mot génie est souvent usité dans le langage courant pour désigner un phénomène engendré par un être ou un esprit dont la portée dépasse les capacités du commun des mortels. Phénomène qui serait donc d’origine surhumaine ce qui aurait pour effet de rendre le génie singulier face aux autres gens. Cependant, comme nous le verrons, le terme génie trouve son ascendance dans la grande famille du mot gens, justement, c’est-à-dire que son étymologie fait partie d’un corpus de termes qui trouvent leur sens dans une idée de continuité et non de discontinuité voire de rupture. Il s’agira donc dans ce texte de réfléchir sur cette dialectique. Au fond, je tenterai modestement d’alimenter ce que Jacques Derrida (2003) évoquait de la manière suivante :

[…] si je devais proposer quelque chose comme une thèse, j’essaierais de montrer en quoi le concept de génie, si c’en est un, doit se soustraire et à son sens courant et même à son appartenance pourtant évidente et vraisemblable à la série homogène, homogénétique, génétique, générationnelle et générique (genèse, généalogie, genre). S’y soustraire et même en déranger l’ordonnance (p.14).


Pour commencer, arrêtons nous plus en détail sur l’étymologie même du mot génie. Selon le Petit Robert (2002), son origine viendrait du latin genuis « divinité tutélaire ». Ce dernier terme trouverait quant à lui son fondement dans le mot latin (et français) gens (ancien pluriel de gent), gentis « race ; peuple ; nation », de genere, forme archaïque de ginere, p.p. genitus « engendrer », rattaché semblerait-il phonétiquement à une racine indo-européenne gen(e)-, gne- « engendrer » et « naître » (cf. grec gignesthai « naître » et « devenir » d’où vient entre autres genesis (terme grec repris en latin) « genèse »). Cette vaste famille comprend donc des mots liés à la naissance, à la reproduction : engendrer, géniteur, génital et congénital, progéniture, génitif, germe, germain, générer, génération, etc. Aussi, genre, général et générique partagent le même sémantisme. Gentil « païen » et gentilité renvoient de même à gens « peuple », comme génocide et gentilé. Néant appartient à cette famille, « pas un vivant » (avec anéantir et néanmoins), et a joué un rôle dans l’altération de feignant en fainéant. D’autre part, gens et gent ont formé gendarme, gendelettre ou entregent. De l’idée de « né », on glisse vers « bien né, noble » : généreux, gentil, gentillesse, gentilhomme… Pour conclure, génie vient aussi d’ingenium (en latin « caractère innée » puis « ruse, adresse » jusqu’au XVI, ce sens étant passé dans ingéniosité) et par ce fait est à rapprocher de s’ingénier à, ingénieux et ingénieur1. Autrement dit, il semblerait que la source de l’une des significations actuelles du mot génie entendu comme étant un être mythique, un esprit bon ou mauvais, parfois doué d’un pouvoir magique, qui influe sur la destiné viennent du latin genius (« divinité tutélaire »)2. La seconde acception au sens d’aptitudes innées, de dispositions naturelles ; d’aptitude supérieure de l’esprit qui rend quelqu’un capable de créations, d’inventions, d’entreprises qui paraissent extraordinaires ou surhumaines découlerait quant à elle du latin ingenium (« caractère, aptitude inné »)3. De-là viendrait, comme on l’a vu, par glissement sémantique, la troisième définition liée au génie logistique, stratégique, technique et scientifique (génie militaire, génie civil, rural, génie génétique, etc.).
Aussi, il faudrait préciser maintenant de quel génie parlons-nous afin peut-être de mieux parler des autres. Si l’on arrive plus ou moins à proposer une étymologie du terme génie, il semblerait qu’il soit contradictoire d’énoncer théoriquement l’essence du génie, ce qui le constitue, lorsqu’il est entendu en tant que faculté innée si l’on désire justement voir en quoi toute forme du génie opère une possible rupture. Jacques Derrida (2003) dit à ce propos :

Aucun critère n’autorisera jamais la définition constative et théorique du génie (comme par « le génie est ceci ou cela, il fait ceci ou cela, il crée ceci ou cela ») ; autrement, on la réduirait à la série homogène, et naturelle, et ontologique de la genèse, de la généalogie et du genre (p.100).

Sans compter que nous serions confrontés à un problème fondamental de la psychologie cognitive, qui est celui de savoir quelles compétences peuvent être déclarées comment étant innées ou acquises. En fonction de cela, je me tournerai vers la figure du génie en tant qu’esprit bon ou mauvais doué parfois d’un pouvoir magique. Je m’attacherai donc à tenter de saisir de quelle manière il apparaît et qu’est-ce qui motive cette apparition, car c’est peut-être là que s’investit ce qu’il est. Néanmoins, et c’est là toute la difficulté de cette entreprise, il n’y a pas un génie mais des génies qui ont chacun leur forme et leur manière d’apparaître et ceci dans de nombreuses cultures. Ainsi, selon la légende, Salomon aurait possédé un anneau (appelé aussi Sceau) mystérieux par la vertu duquel il commandait à toutes les légions de djinns (terme arabe le plus couramment utilisé pour désigner un génie4), qui, à la volonté de ce roi, exécutaient les plus grands prodiges. Dans le Coran, il est fait allusion aux pouvoirs qu’aurait accordé Dieu à Salomon et notamment à cette kyrielle de génies mise sous ses ordres. Dans la 21ème Sourate (v. 82) il nous est dit qu’il fut soumis à Salomon “des démons qui plongeaient pour pêcher des perles pour lui, et exécutaient d’autres ordres” et dans la 34ème Sourate (v. 11) que fut assujetti “le vent à Salomon. Il soufflait un mois le matin et un mois le soir. Nous fîmes couler pour lui une fontaine d’airain. Les génies travaillaient sous ses yeux, par la permission du Seigneur, et quiconque s’écartait de nos ordres était livré au supplice de l’enfer. (v. 12) Ils exécutaient pour lui toutes sortes de travaux, des palais, des statues, des plateaux larges comme des bassins, des chaudrons solidement étayés comme des montagnes” ; pour finir , il est précisé dans la 37ème Sourate (v.37) qu’il en fut livré “d’autres chargés de chaînes”. Un des génies dans le conte d’Aladin réside aussi dans un anneau, les autres, comme on le sait, dans une lampe. Il faut que le propriétaire de ces objets les frotte afin de faire apparaître l’un des djinns (dont il devient le maître) qui leur est respectivement lié. Le génie émanant de la bague nous est décrit dans ce conte comme ayant “une physionomie d’homme irascible” (p.52) quant au premier qui sort de la lampe, il aurait “les traits sévères, la stature haute” faisant même peut-être partie “de la race des géants” (p.60) et possédant “une austère figure”(p.61). On apprend d’ailleurs par ce djinn qu’ils sont nombreux à appartenir à la lampe et qu’ils sont tous dévoués à son propriétaire :

— Commande ce que tu veux de moi. Me voici ton serviteur, comme je suis le serviteur de toute personne qui a la lampe entre ses mains. Non seulement moi, mais tous les serviteurs de la lampe enchantée que tu détiens en ce moment (p.60).

On notera que dans la traduction d’Aladin réalisée par René R. Khawam (1988) à partir des manuscrits originaux arabes, les djinns que nous citons sont des djinns rebelles à Salomon et que l’un d’entre eux se rebelle justement lorsque Aladin lui ordonne d’aller chercher un œuf de rokh (gigantesque oiseau qui est souvent cité dans Sinbad) ce que le génie refuse catégoriquement de faire sans en justifier le motif, mais bascule dans une colère qui le pousse à menacer Aladin et son épouse de les broyer en cendres et de disperser celles-ci aux quatre vents s’il réédite cette requête5. D’autre part, chez beaucoup de peuples orientaux, les génies peuvent se manifester sous de multiples apparences aux yeux des hommes. D’après la conception musulmane, comme nous l’avons vu en partie plus haut, les djinns sont des êtres corporels formés d’une vapeur ou d’une flamme, doués d’intelligences, imperceptibles à nos sens ; ils peuvent apparaître sous différentes formes et sont capables d’accomplir de pénibles travaux. Ils ont été créés d’une flamme sans fumée, tandis que les hommes et les anges, les autres classes d’êtres intelligents, ont été faits de limon et de lumière. Ils peuvent avoir part au salut ; Muhammad a été envoyé aussi bien pour eux que pour l’humanité ; une partie d’entre eux iront au Paradis, tandis que d’autres seront livrés aux flammes de l’enfer. Dans la croyance Turc, par exemple, le génie prend le plus souvent l’aspect d’animaux tels que : chat noir, canard, poule avec sa couvée, buffle, renard, ou bien sous la forme humaine, en hommes normaux ou en nains, et parfois sous l’aspect d’un homme de taille gigantesque (souvent on croit les avoir vus tout blancs, minces et grand comme un minaret ou un poteau télégraphique) ; ils se manifestent aussi sous les traits d’un bébé enroulé dans ses langes. Dans les pratiques des Noires de Turquie, le serpent est considéré comme un animal qui incarne les djinns. Le loup et les oiseaux sont les seuls êtres vivants aux attaques desquels les djinns soient invulnérables. Pour les Grecs, la conception de génie n’a pas toujours été la même. Dans Homère, le mot daimon (esprit en grec) désigne seulement la divinité qui préside à la destinée de chacun, c’est-à-dire le sort. Chez Hésiode, les génies sont les âmes des justes de l’âge d’or. Plus tard, les philosophes grecs représentèrent les daimon comme des esprits tutélaires attachés aux hommes dès leur naissance6. Plus précisément, ce “génie individuel était appelé agathos daimon, ou « bon esprit »” (Macho, 2001). Thomas Macho (2001) ira jusqu’à dire que :

L’existence d’un lien entre ces croyances et la tendance bien connue de Socrate à s’en remettre aux conseils de son « daimonion » dans les questions délicates est plus que vraisemblable. Le mythique « daimonion » se retrouve alors converti en une « voix intérieure » et en quelque sorte élevé au statut d’instance de réflexion philosophique, ce qui fit céder certains critiques à la tentation de parler d’origine de la « conscience morale ».

Sous l’Antiquité romaine cette croyance d’un ange gardien personnel réputé accompagner chaque être humain toute sa vie pour être né comme double avec lui perdurera et sera nommé genius (Macho, 2001), il sera aussi intimement lié aux cérémonies et aux superstitions domestiques. En outre, pratiquement dans toutes les nations de l’Antiquité le culte des génies était répandu et on les percevait comme des divinités intermédiaires entre les hommes et les dieux7. Cette brève taxinomie du génie, à défaut d’être exhaustive – mais qui met, me semble-t-il, déjà en évidence la difficulté voire l’impossibilité de classer les génies tant ils se redéfinissent pratiquement dans chacune de leur apparition – soulève deux éléments qui me paraissent particulièrement intéressants, le premier réside dans le fait que le génie s’individualise chez les Grecs et qu’il devient partie prenante dans la construction du sujet et de sa représentation à travers son dédoublement. Plus tard, René Descartes (1641) supposera en vue de clarifier et d’argumenter sa réflexion que ce qui le pousse hors du chemin de la vérité c’est “un certain mauvais génie, non moins rusé et trompeur que puissant” et “non point un vrai Dieu, qui est la souveraine source de vérité”(p.67) et il ajoute un peu plus loin qu “il est assez évident qu’il [Dieu] ne peut être trompeur, puisque la lumière naturelle nous enseigne que la tromperie dépend nécessairement de quelque défaut” (p.131). Il part de ce postulat pour affirmer qu’il est.

Il n’y a donc pas de doute que je suis, s’il [le mauvais génie] me trompe tant qu’il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je prononce, ou que je la conçois en mon esprit (p.73)

Aujourd’hui, les figures permettant à l’homme et à la femme de se représenter à travers une forme de dédoublement sont toujours aussi présentes et sont légion. Les questions autour du clone, de l’avatar mais aussi de toutes formes de revenants hantent, si j’ose dire, aussi bien la culture populaire qu’un nombre non négligeable de débats des sciences humaines et du domaine de l’art8. La virtualisation du monde fait partie de notre quotidien, et ces dites figures – dont fait aussi selon moi partie celle du génie – paraissent être les acteurs majeurs à partir desquels penser mais aussi s’opère ce processus. Je me garderai de me lancer dans une phénoménologie approfondie de ce changement d’état (bien que je serai amené à y revenir) et ceci tout simplement parce que je n’ai ni les compétences, ni les outils conceptuels pour le faire. Cependant, il est fort probable que cette manière d’envisager le monde modifie profondément notre façon de nous représenter en tant que sujet9.
Le second point qui m’interpelle, c’est le rôle de médiateur qui est imparti au génie, la place qu’il tient dans l’entre-deux. Cette tâche d’intermédiaire le condamne à être ni un être humain, ni un dieu mais un esprit suffisamment plastique – dans le sens qu’il doit parfois être modelable afin de s’incarner dans un corps ou un objet, mais doit aussi parfois être enclin à produire des artefacts – en vue de satisfaire celui qui le sollicite et ceci dans un langage intelligible (le génie de la lampe peut tenir une conversation aussi bien avec Aladin qui habite en Chine qu’avec le mage tyrannique qui vient du bas Maghreb, par exemple). Or, il s’agit ici d’une forme de lieu, de la constitution d’un espace-temps. Une boîte de Pandore (panta dôra « qui a tous les dons ») contenant à la fois tout le bien et le mal. Plus largement encore, un lieu du dédoublement dont sont issus le politique, le juridique, le moral, le philosophique, l’art et dont les génies sont les vecteurs. Une virtualité par laquelle des esprits font apparaître des bribes du monde, mais qui contient en elle-même tout le monde et toutes les possibilités de l’agencer à l’infini aussi bien dans l’espace que dans le temps. C’est hypothétiquement par cette manière aléatoire de donner à voir le monde, c’est-à-dire en répondant au gré des désirs qu’à l’être humain de jouir de l’infini offert par la virtualité – tous les possibles —que le génie se détache de la série genèse, généalogie, genre. Dans Aladin, le génie de la lampe répond aux ordres du propriétaire de la lampe et que ceux-ci soient émis à dessein de changer l’ordre du monde par le bien ou le mal, il n’en a cure. Mais Il serait trop facile d’accuser le génie de notre errance voire de notre perte car comme on l’a vu, il s’est déplacé. S’il était dans l’Antiquité entre ciel et terre et qu’on cherchait à la contenir dans un récipient pour profiter de ses pouvoirs, il est maintenant en nous, il a glissé en nous – tout du moins en Occident, c’est peut-être dans ce glissement d’ailleurs que se joue son destin10
— et c’est en nous que ce lieu se trouve, pour reprendre un syntagme de Jacques Derrida (2003) qui écrit à son propos :

[…] je viens de me servir une fois de plus de l’expression « se trouver ». Pour souligner que quelque chose du dehors, en tant que dehors, extérieur à un ensemble donné, se trouve aussi inscrit au-dedans, le plus grand se trouvant ainsi précompris dans un plus petit toujours plus grand que le plus grand, etc. Plus tôt j’avais recouru cent fois à l’expression se trouver. Ce syntagme, se trouver, m’intéresse deux fois. D’abord à cause d’un usage français fort idiomatique, voire intraduisible, comme un idiome, d’ailleurs, se trouve être ainsi et non ainsi, de façon apparemment contingente. Ensuite à cause du lien entre la génialité et l’imprévisibilité événementielle du « ça se trouve ainsi », la génialité consistant à se trouver trouver (inventer, créer, inaugurer, révéler, découvrir) ce qui se trouve là où personne ne l’avait encore trouvé. […] le « se trouver » pouvant consister à se trouver, à se découvrir, à se rencontrer réflexivement, spéculairement et transitivement soi-même (se trouver soi-même), mais aussi bien être passivement et inconsciemment localisé, situé, à avoir lieu, à être posé, jeté, placé ici ou là plutôt qu’ailleurs, de façon contingente, voire miraculeuse, destinale en tout cas. (pp. 73 à 75)

Ce lieu maintenant intériorisé, « en soi-même » nous amène donc à penser que nous ferions partie intégrante de cette virtualité. Dans ce lieu du dédoublement, il nous est donné de nous trouver trouver. C’est peut-être là que se rejoignent les deux définitions du terme génie, à travers cette conjonction du double qui s’ingénie à se trouver. En intériorisant le génie nous aurions pris conscience d’être des êtres projetés – “jetés11 – dans ce lieu intermédiaire tout en nous y trouvant déjà. Un double qui se cherche et se trouve en lui-même et ceci à l’infini. Il est vrai que ce processus pourrait faire l’objet d’une genèse, d’une généalogie et d’un genre, nonobstant le génie ou plutôt le coup du génie – car il s’agit du déploiement d’une force, d’une puissance – se donne à voir, depuis que nous l’avons intériorisé, par des sujets qui produisent des objets (toute chose qui affecte les sens) qui nous apparaissent inopinément et que l’on trouve surhumain. Humain certes, mais à côté. C’est donc une répétition, mais pas à l’identique, une reprise12. Il me semble que c’est là toute l’ambiguïté du génie, c’est qu’il se réfère au monde mais le ré-invente, il est à la fois rupture et filiation. D’ailleurs, en latin le terme invenio (in-venio, is, ire, veni, ventum) évoque déjà à lui seul cette contradiction en désignant à la fois le fait de “trouver” après recherches, dans un substrat et de “se retrouver” (se invenire) mais aussi d’“inventer”13. Or, nous pouvons spéculer que le génie apparaît dans sa façon, dans sa contrefaçon aurait dit Jacques Derrida (2003)14, singulière de multiplié le monde, de nous révéler la multiplicité des mondes possibles mais qui seraient en lien direct, réel, avec notre monde. Dès lors, le génie – le sujet – aurait la puissance d’inventer des objets c’est-à-dire de les re-produire (d’un passé) et de les projeter (dans un futur) et par le fait qu’il est à la fois bon et mauvais, il a la capacité – la liberté – au sein même de ce déplacement, de cette économie – de ce destin – d’agir sur l’ordre du monde15.
Ainsi, il n’est pas très étonnant que l’Homme se cherche dans la virtualité du monde. Cette virtualité qui semble contenir tous les possibles en ayant la faculté de satisfaire notre désir de la fin de notre disparition. Toutefois, si nous avons le pouvoir du génie, si nous détenons sa toute-puissance, il en va de notre responsabilité quant à son utilisation car comme le dit déjà René R. Khawam (1988) dans l’introduction qu’il fait du livre d’Aladin :

[…] ce n’est pas merveille si la lampe fait merveille. Dans ce conte merveilleux, il y a de la moralité, comme dans une fable. Un homme a mérité son destin : ses aventures mêmes en font un initié, et cette initiation nous comble, car il s’avère que le bénéficiaire de tant de dons a su utiliser au mieux ce qui lui avait été offert. (p. 15)

Cependant, en ayant intégré en nous le génie, la virtualisation du monde ferait partie intégrante de notre destin et il ne s’agit plus d’une fable mais de notre avenir16. Avenir dans lequel il nous ait donné, comme nous l’avons déjà soulevé plus haut, de changer l’ordre du monde, son homogénéité.



1. Cf. Petit Robert (2002, p. 1176)
2. Ibid. p. 1174
3. Ibid. p. 1174 ; Louis Quicherat & Emile Chatelain, Dictionnaire Français Latin, Libraire Hachette : Paris, 1992 (62ème édition), (p.664)
4. Si le terme djinn veut dire génie en arabe, le terme djins signifie genre en arabe, dans l’Antiquité. Il est le premier des cinq termes (le genre, l’espèce, la différence, le propre et l’accident) donné par Porphyre dans son Introduction à la Logique d’Aristote. Il est de nos jours employé pour désigner le sexe. (B. Lewis, Ch. Pellat et J. Schacht, Encyclopédie de l’Islam. Tome II, Editions : G.-P. Maisonneuve & Larose S.A., Paris ; 1965, pp. 563-564)
5. Il semblerait que certains génies ont un rapport spécifique avec les oiseaux. Dans le Coran, on peut lire qu’“un jour, les armées de Salomon, composées de génies et d’hommes, se rassemblèrent devant lui, et les oiseaux aussi, tous rangés séparément” (Sourate 27, verset 17). Nous verrons plus loin d’autres accointances entre le génie et les oiseaux. Néanmoins, je n’ai malheureusement pas trouvé le motif précis qui justifie un tel mécontentement de la part du djinn.
6. Bibliographie de la taxinomie :
A. Quillet, Dictionnaire Encyclopédique Quillet, Editions : Librairie Aristide Quillet, 1983, p. 2752 ; B. Lewis, Ch. Pellat et J. Schacht, Encyclopédie de l’Islam. Tome II, Editions : G.-P. Maisonneuve & Larose S.A., Paris , 1965, pp. 560 à 563. ; Thomas Macho. (2001). Le double. (B. Hochstedt, trad.). [Page Web]. Accès : http://www.gazzetta-pl.ch/site/display_text.php?id=32&language=fr
7. Ibid. p. 2752
8. Cf. Fresh Théorie II. Black Album, Editions Léo Scheer, Paris, 2006
9. Serge Margel, Apparition—Disparition. Une phénoménologie du fantôme est-elle possible ? conférence donnée le 20 novembre 1999 au Musée de l’Elysée à Lausanne organisée dans le cadre de l’exposition : “Le corps. Les images subites” par Claire de Ribaupierre et Véronique Mauron.
10. Serge Margel. (1999). Secret de décadence – De la disparition des oracles et l’origine de la question du religieux. [Page Web]. Accès : http://www.gazzetta-pl.ch/site/display_text.php?id=77&language=fr
11. Jacques Derrida, Genèses, généalogies, genres et le génie. Les secrets de l’archive, Editions Galilée, Paris, 2003
12. Christophe Kihm, Autour de la performance, (août 2007), conférence donnée dans le cadre du festival des arts vivants 2007 à Nyon.
13. Félix Gaffiot, Le Grand Gaffiot – dictionnaire Latin-Français, Editions Hachette, Paris, 2000
14 “Partout s’insinue donc l’idée du génie de contrefaçon. Le génie ce contrefait, mais il y a aussi un génie de contrefaçon” (p.81)
15. Cf. Serge Margel. Destin et liberté. La métaphysique du mal. Editions Galilée, Paris, 2002
16. Serge Margel. (1999). Secret de décadence – De la disparition des oracles et l’origine de la question du religieux. [Page Web]. Accès : http://www.gazzetta-pl.ch/site/display_text.php?id=77&language=fr

Références bibliographiques :

Alizart, M. & Kihm, Ch. (Ed.). (2006). Fresh Théorie II. Black Album. Paris : Editions Léo Scheer
Derrida, J. (2003). Genèses, généalogies, genres et le génie. Les secrets de l'archive, Paris : Galilée
Descartes, R. (1992). Méditations métaphysiques. Objections et réponses suivies de quatre lettres. Paris : GF Flammarion (Original publié 1641)
Le Coran. (1970). (Kasimirski, trad.). Paris : GF Flammarion (Original publié ?)
Le Roman d’Aladin. (1988). (R. R. Khawam, trad.). Paris : Phébus libretto (Original publié ?)
Macho, Th. (2001). Le double. (B. Hochstedt, trad.). [Page Web]. Accès : http://www.gazzetta-pl.ch/site/display_text.php?id=32&language=fr
Margel, S. (1999). Secret de décadence – De la disparition des oracles et l’origine de la question du religieux. [Page Web]. Accès : http://www.gazzetta-pl.ch/site/display_text.php?id=77&language=fr
Margel, S. (2002). Destin et liberté. La métaphysique du mal. Paris : Galilée